Un plan à 800 milliards d'euros à l'échelle de l'Union européenne, un budget français de la défense qui pourrait atteindre 3 à 3,5 % du PIB contre 2 % aujourd'hui, des sociétés de gestion qui revoient leurs considérations ESG pour intégrer des valeurs du secteur dans leurs portefeuilles…Les annonces en faveur d'un réarmement de l'Europe face à la menace russe et au désengagement américain depuis l'élection de Donald Trump se multiplient ces dernières semaines. En Bourse, les entreprises européennes du secteur connaissent une ascension fulgurante. L'indice Stoxx Aerospace & Defense (Airbus, BAE Systems, Rheinmetall, Thales…) gagne près de 20 % depuis le début de l'année, surperformant tous les marchés. « Ces annonces changent tout, lance Raphaël Thuin, responsable des stratégies de marchés de capitaux de Tikehau. Nous pouvons parler d'un moment ChatGPT de la défense européenne. » La comparaison fait sens.
A l'instar du logiciel d'intelligence artificielle générative d'OpenAI, qui a propulsé Nvidia à des sommets, les annonces européennes ont entraîné des gains sans précédents. L'allemand Rheinmetall, principal fournisseur de munitions à l'Ukraine, a ainsi gagné près de 120 % depuis le 1er janvier. Est-il encore temps de se positionner ? Si des corrections à court terme ne sont pas à écarter - conséquence de prises de bénéfices bienvenues -, le potentiel de croissance des entreprises de l'armement est loin d'être consommé. « Nous assistons à un changement de paradigme, confirme Yan Derocles, analyste chez Oddo BHF. L'Europe a pris conscience du retard à rattraper pour financer sa sécurité. »
Le bureau d'analyse a ainsi revu ses estimations de croissance moyenne du marché, passant de 10,5 % de hausse par an jusqu'en 2030 à 30,5 % compte tenu des afflux de commandes qui vont arriver chez les principaux fournisseurs d'armes, véhicules et autres technologies de défense. « L'augmentation de la demande pourrait se matérialiser dès le second semestre 2025, avec un pic en 2026. Dans les résultats, les effets se constateront plutôt en 2027 et 2028 », juge Yan Derocles.
Des groupes européens toujours décotés
Avec de telles promesses de croissance, les niveaux de valorisation des principaux titres du domaine (environ 20 fois les bénéfices estimés de 2025 contre une moyenne historique de 15 fois) ne paraissent pas si excessifs, d'autant plus avec la correction des marchés provoquée par Donald Trump. C'est encore plus vrai si l'on compare ces ratios avec ceux des entreprises américaines de l'armement. Goldman Sachs note ainsi que les actions européennes du secteur font l'objet d'une décote de 16 % vis-à-vis de leurs pairs outre-Atlantique. Les perspectives sont pourtant bien meilleures sur le Vieux Continent : le consensus table sur une croissance moyenne annuelle des bénéfices par action en Europe de 29 % sur la période 2024-2027 contre 16 % aux Etats-Unis.
Toutes les valeurs vont-elles pour autant profiter durablement de ce rebond ? « A l'image de son marché, la défense européenne reste très fragmentée », rappelle Raphaël Thuin. Certains pourraient tirer leur épingle du jeu, en priorité ceux dont l'exposition à l'Europe est la plus importante. En revanche, une trop grande dépendance à l'Ukraine, à l'instar de Rheinmetall (plus de 15 % de son chiffre d'affaires), pourrait être préjudiciable en cas de résolution du conflit avec la Russie..
Source Investir